L’annonce de la fin des accords fiscaux temporaires avec la France, la Belgique et l’Allemagne au 30 juin 2022 en matière de télétravail suscite de nombreuses questions relatives au maintien de celui-ci et aux impacts liés à sa mise en place. De nombreuses entreprises souhaitent continuer à en faire bénéficier leurs collaborateurs ou futurs collaborateurs (nouveau package salarial). Néanmoins, malgré toutes les informations relatives au télétravail véhiculées dans la presse, sur les réseaux, etc. ces organisations ne savent pas toujours comment jongler avec les différentes règles afin d’éviter tout risque social et fiscal.

Dans le présent article, nous vous donnons toutes les clés pour assurer en toute sérénité la transition vers le retour au présentiel ou l’adoption d’un télétravail régulier.

Préambule : qu’est-ce que le télétravail régulier ?

Il est utile de rappeler que le télétravail, en général, est une forme d’organisation ou de réalisation du travail, utilisant généralement les technologies de l’information et de la communication, de sorte que le travail, qui aurait normalement été réalisé dans les locaux de l’employeur, est effectué hors de ces locaux.
Le télétravail est considéré comme occasionnel lorsqu’il est effectué pour faire face à des événements imprévus ou représente moins de 10% en moyenne du temps de travail normal annuel du télétravailleur. Le télétravail est considéré comme régulier dans les autres cas (1).
La mise en place d’un régime de télétravail régulier au sein de votre entreprise engendrera des impacts à 3 niveaux :

  • Le droit du travail
  • La sécurité sociale
  • La fiscalité

1. Télétravail et droit du travail

En matière de droit du travail, les questions relatives au télétravail concernent l’ensemble des salariés, qu’ils soient résidents ou non-résidents. Le principe en la matière est celui du volontariat : l’employeur et le salarié doivent convenir de commun accord l’existence et les modalités du télétravail.

Pour ce qui est du télétravail occasionnel, un simple accord écrit suffit. Un échange de mail, par exemple, permet d’établir une situation de télétravail.

Pour le télétravail régulier, en revanche, il faudra rédiger un avenant au contrat de travail. Cet avenant devra impérativement faire mention des éléments suivants :

  • le lieu du télétravail ou les modalités pour déterminer ce lieu ;
  • les heures et les jours de la semaine pendant lesquels le télétravailleur fait du télétravail et doit être joignable pour l’employeur ou les modalités pour déterminer ces périodes ;
  • les modalités de compensation éventuelle en matière d’avantages en nature ;
  • le forfait mensuel pour la prise en charge des coûts de connexion et de communication ;
  • les modalités du passage ou du retour vers la formule classique de travail.(2)

Pour définir le cadre et les modalités du télétravail, deux options s’offrent à vous : 

  • Mettre en place un règlement interne relatif au télétravail (ce qui n’exonère pas d’établir individuellement un avenant au contrat de travail, qui fera référence au règlement), ou
  • prévoir l’ensemble des modalités directement au sein de l’avenant au contrat de travail.

Dans les deux cas, il vous faudra vous poser certaines questions et notamment :

  • Quelles sont les modalités pour décider de ces jours de télétravail ? 
  • Dans quelles limites sont accordés les jours de télétravail (seuil fiscal / seuil social) ? 
  • Les horaires de télétravail sont-ils ceux déjà applicables (règlement interne de l’entreprise / contrat de travail initial) ?
  • Quel matériel est mis à disposition du télétravailleur et quelles sont les conditions d’utilisation de celui-ci (uniquement pour un usage professionnel, politique relative aux mots de passe, obligation d’utiliser tel ou tel type de messagerie, de moyens de communication, etc.) ?
  • Quelle sécurité sur le plan informatique (utilisation d’un wifi privé, connexion via un VPN, etc.) ?
  • Est-ce que certaines tâches / ou certains postes requièrent la présence obligatoire du salarié et donc l’impossibilité d’être en télétravail tel ou tel jour de la semaine par exemple ?
  • Est-ce que la société prend en charge certains coûts liés directement au télétravail (coûts de connexion, etc.)
  • Est-ce qu’il y a lieu de compenser des avantages en nature dont le salarié ne pourrait plus bénéficier lorsqu’il est en télétravail ?

De plus, lorsqu’il existe une délégation du personnel au sein de l’entreprise, vous devrez, afin d’introduire ou modifier le régime de télétravail, informer et consulter la délégation du personnel, voire obtenir un commun accord pour les entreprises de 150 salariés ou plus.

Par ailleurs, vous devrez informer la délégation du personnel régulièrement sur le nombre de télétravailleurs et son évolution au sein de l’entreprise.(3)

Des inspecteurs à l’affût

Autant par le passé, le télétravail était mis en place de manière informelle, autant aujourd’hui, vu le contexte, les entreprises doivent l’organiser de manière à respecter les prescriptions légales. En effet, l’Inspection du Travail et des Mines (ITM) pourraient demander lors d’un contrôle, la liste des personnes bénéficiant du télétravail ainsi qu’une copie de leur avenant « télétravail ». À défaut, l’employeur s’expose à des sanctions.

2. Télétravail et Sécurité sociale 

Le télétravail peut également avoir un impact au niveau de la sécurité sociale concernant les salariés non résidents luxembourgeois.

Le règlement européen n°883/2004 prévoit qu’un salarié peut n’être soumis qu’à la sécurité sociale d’un seul État membre au sein de l’Union européenne. En effet, l’article 13 du règlement 883/2004 prévoit que « La personne qui exerce normalement une activité salariée dans deux ou plusieurs États membres est soumise à la législation de l’État membre de résidence, si elle exerce une partie substantielle (définie comme une période d’au moins 25% du temps de travail et de sa rémunération) de son activité dans cet État membre ».

En l’occurrence, si le salarié travaille plus de 25% de son temps de travail dans son pays de résidence (qui est un autre pays que le Grand-Duché du Luxembourg), il sera soumis au régime de sécurité sociale de son pays de résidence. Les cotisations sociales seront dès lors dues dans le pays de résidence du salarié. Ces dernières sont souvent plus élevées qu’au Luxembourg. 

Par ailleurs, ce changement de sécurité sociale entraînera la perte des avantages sociaux auxquels les salariés non résidents ont droit en vertu de leur affiliation à la sécurité sociale luxembourgeoise (prestations de soins, de pension, les allocations familiales…).

Il est donc très important de vous interroger sur la mise en place de limites au télétravail au sein de votre entreprise.

En outre, du fait que le salarié frontalier exercera une partie de son activité dans son pays de résidence et l’autre partie au Luxembourg, une demande d’activité simultanée devra être introduite. Cela permettra au télétravailleur de rester couvert au niveau de la sécurité sociale luxembourgeoise. 

Concrètement, une demande de législation applicable doit être introduite auprès de la sécurité sociale du pays de résidence du salarié. En prévoyant la mise en place du télétravail à hauteur de un jour par semaine, l’activité exercée à l’étranger sera inférieure à 25 % du temps de travail du salarié, l’autorité compétente confirmera que la sécurité sociale au Luxembourg reste applicable. Le Centre Commun de la Sécurité Sociale émettra alors une attestation A1 qui sera valable pendant minimum une année et qui devra être renouvelée à la date d’expiration si la situation reste inchangée. 

Une période de transition pour la sécurité sociale

Concernant les accords exceptionnels liés à la sécurité sociale des travailleurs frontaliers, ils devaient également prendre fin le 30 juin 2022. Néanmoins, la commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale de l'Union européenne a décidé de mettre en place une période transitoire de 6 mois (du 1er juillet au 31 décembre 2022)

Cette période transitoire permettra à tous les frontaliers de continuer de télétravailler plus de 25% de leur temps de travail depuis leur domicile, et ce, sans incidence sur leur affiliation au système de sécurité sociale luxembourgeois, et ce, jusqu’au 31 décembre 2022.

3. Au niveau fiscal

Le télétravail peut également avoir un impact en matière de fiscalité pour les salariés non résidents.

En effet, le travailleur non-résident est imposé sur sa rémunération au Luxembourg parce qu’il travaille physiquement sur le sol luxembourgeois. L’imposition est due dans le pays où l’activité est exercée. Étant entendu que le télétravail se déroule dans le pays de résidence, les prestations qui y seront réalisées devraient y être imposées. Le salarié est redevable des impôts en fonction des prestations qu’il effectuera dans chaque pays.

Dès lors, une partie des revenus du salarié pourrait être imposée dans son pays de résidence.

Il est à noter que le Grand-Duché du Luxembourg a conclu des conventions fiscales « bilatérales » avec ses pays voisins afin d’éviter les doubles impositions. Ces conventions prévoient des seuils de tolérance :

  • 34 jours pour la Belgique ;
  • 29 jours pour la France (34 jours prochainement – dans l’attente de la publication) ;
  • 19 jours pour l’Allemagne.

Il est à noter que ce seuil comprend non seulement les jours de télétravail, mais aussi tous déplacements en dehors du Luxembourg (formation, rendez-vous client…). 
Ces seuils de tolérance sont à proratiser en fonction du temps de travail du salarié ou de sa date d’entrée dans l’entreprise.

L’arrondi se faisant à l’entier supérieur pour les résidents belges et à l’entier inférieur pour les résidents français.

Ex : salarié belge à 32 heures / semaine > seuil de 28 jours (80% de 34 jours = 27,2 jours) 

Le télétravail depuis le domicile du non-résident luxembourgeois reste totalement imposable au Grand-Duché aussi longtemps qu’il n’a pas dépassé le seuil de tolérance.

Si cette limite est dépassée, la rémunération équivalente au temps total presté dans le pays de résidence sera considérée comme perçue dans le pays de résidence et sera dès lors soumise au régime fiscal du pays de résidence, et ce dès le premier jour presté hors du Luxembourg.

De plus, toute fraction de journée de travail, même brève, prestée par le salarié dans son pays de résidence devra être comptabilisée comme une journée entière, et ce quel que soit le nombre d’heures de présence dans chacun des deux États.

En pratique, si le salarié venait à dépasser le seuil fiscal de tolérance, l’employeur devrait exempter d’impôt luxembourgeois la part des prestations effectuées à l’étranger. C’est ensuite au salarié que revient la responsabilité de déclarer les revenus exemptés au Luxembourg à travers sa déclaration fiscale personnelle et s’acquitter des impôts dus en conséquence dans son pays de résidence. Excepté pour la France où la retenue à la source est obligatoire pour l’employeur, néanmoins, le salarié n’en reste pas moins obligé de déclarer ces revenus via sa déclaration annuelle.

En 2022 , le quota complet

Il est à noter que, concernant l’année 2022, suite aux accords se terminant le 30 juin 2022, les seuils de tolérance en matière fiscale n’ont pas été proratisés. Les salariés bénéficient donc de l’intégralité de leurs jours fiscaux entre le 1er juillet et le 31 décembre 2022. Attention cependant, si ces salariés ont travaillé dans le courant du premier semestre 2022 à l’étranger (hors cadre télétravail), alors ces journées doivent tout de même être décomptées des jours de tolérance. 

En conclusion, même si dans la pratique, aujourd’hui, toutes les entreprises (où le télétravail est possible) sont capables de le mettre en place d’un point de vue organisationnel, il reste complexe à instaurer du fait des formalités à accomplir tant en matière de droit du travail que sociale et fiscale. C’est pourquoi VO CONSULTING LUX S.A. se tient à votre disposition pour répondre à vos questions en la matière et peut vous accompagner dans ces démarches.

C’est d’ailleurs un sujet brûlant, dont les contours seront très probablement amenés à changer au niveau social et fiscal. En effet, des discussions sont en cours quant à l’éventuelle création d’un statut de travailleur frontalier européen. Ce statut permettrait alors aux frontaliers d’aller au-delà de la limite de 25% du temps de travail et donc de pouvoir télétravailler dans leur pays de résidence jusqu’à deux jours par semaine. Les seuils de tolérance fiscaux, seront-ils revus à la hausse ? Des discussions sont également en cours tant pour la Belgique (48 jours), que pour la France (34 jours) et l’Allemagne (55 jours). Nous restons bien entendu à l’affût de l’actualité et ne manquerons pas de vous communiquer tout changement important.


(1) Art. 1 de la Convention du 20 octobre 2020 relative au régime juridique du télétravail
(2) Art. 5 de la Convention du 20 octobre 2020 relative au régime juridique du télétravail
(3) Art. 4 de la Convention du 20 octobre 2020 relative au régime juridique du télétravail

VO Consulting